L`Intermède
"Comment rêver la science-fiction à présent ?"
Après la présentation des lieux, les premiers jours du colloque : différentes approches pour cerner le genre (20-23 juillet)

Qu’en est-il de la science-fiction contemporaine, celle des années 2000, celle qu’il est désormais banal de dire "en crise" ? C’est la question que posent Daniel Tron, Danièle André et Aurélie Villers, co-directeurs de ce colloque de Cerisy.

Comme l’explique Roger Bozzetto, professeur émérite à l’université de Provence, dans la communication qui ouvre le colloque, la science-fiction se voit menacée d'un côté par la déferlante des oeuvres de fantasy qui envahissent le marché, et de l'autre par sa difficulté à présenter encore des univers neufs et excitants. Il semble que la possibilité d'émerveillement qu'elle possédait autrefois se dissipe. L'exposé, volontairement polémique, pose bien les jalons de la réflexion qui va courir durant cette décade. Suscitant d’emblée un vif débat sur les fonctions et la nature des oeuvres de science-fiction, sur leur capacité à émerveiller - mais doivent-elles réellement émerveiller ?, s'interroge Marc Atallah, de l'Université de Lausanne -, la communication ouvre aussi la porte à des réponses qui vont être proposées au fur et à mesure des interventions. Ainsi, Roger Bozzetto estime que la science-fiction doit retrouver les élans de l’imagination créatrice, pour réoccuper l’espace du plaisir. Car la science-fiction n’est pas morte, loin s’en faut, et les différents orateurs vont essayer successivement de montrer quelles sont les grandes tendances du genre, et d’ouvrir des perspectives potentielles sur sa régénération à travers des media extrêmement divers (romans bien sûr, mais aussi films, séries télévisées, bande-dessinées...).

On retiendra de ces premiers jours différentes problématiques qui ne cessent de ressurgir :
la "vieille" question de la définition même du genre ne semble, par exemple, toujours pas enterrée, et jaillit sans arrêt lors des débats, car précisément les différentes conceptions du genre ne sont pas toujours compatibles. Colloque de Cerisy juillet 2009 Comment rêver la science-fiction à présent ?Les liens avec la littérature mainstream ou la science sont souvent des points d’achoppement des raisonnements. Mais différentes voies sont également explorées. Marc Atallah, précisément, consacre sa communication à une définition possible de la science-fiction comme fiction narrative fondée sur une conjecture de nature techno-scientifique, qui permettrait selon lui de sortir le genre de l’ostracisme académique.

Différents domaines sont convoqués pour cet état des lieux de la science-fiction contemporaine. Les apports pluridisciplinaires jouent en effet un rôle important pour envisager d’autres angles de vue sur le genre. Isabelle Limousin, conservatrice du Musée Picasso à Paris, évoque ainsi l’œuvre de l'artiste Dominique Gonzalez-Foerster, dont les installations, appelées "environnements", intitulés Cosmodrome et Exotourisme sont fortement influencés par un imaginaire science-fictif, revendiqué par l'artiste elle-même. Yannick Rumpalla, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Nice, propose quant à lui de tisser un lien entre science-fiction et pensée politique, autour du motif fondamental du changement social, et de se servir des expériences de pensée des univers de science-fiction pour déconstruire des évidences et appréhender différemment les problèmes qu’abordent les sciences humaines. Plus loin, Sylvie Allouche, chercheuse en philosophie, imagine dans une conférence-fiction la science de la possibologie, influencée par la science-fiction et qui se fonderait sur la création de fictions.

Quelle vision de l’avenir et du présent la science-fiction nous suggère-t-elle ? C’est aussi là une question autour de laquelle se construisent différentes communications. Le problème de la noirceur dystopique ou apocalyptique du genre est en effet une remarque récurrente. Yann Calvet, chargé de cours en cinéma à l’université de Caen, s’interroge sur le cinéma hollywoodien post-11 septembre pour montrer que celui-ci développe le thème du complot médiatique, des imageries apocalyptiques et des personnages antihéroïques désormais gouvernés par la peur dans une "rhétorique de l’impuissance", selon ses termes.

En réponse aux univers post-apocalyptiques devenus légions en science-fiction, certains auteurs français, comme le montre Natacha Vas-Deyres, chargé de cours à Bordeaux III, choisissent pourtant de renouveler le genre utopique à travers une utopie nomade de la marge, des "utopies en friches", ou encore, dans une démarche très controversée, par une utopie religieuse et mystique revendiquée comme telle, comme chez Pierre Bordage et Maurice G. Dantec. Il s’agit également Colloque de Cerisy juillet 2009 Comment rêver la science-fiction à présent ?de penser une science-fiction moderne comme celle de la série de bandes-dessinées Lupus de Frederik Peeters à laquelle Jérôme Dutel, de l'IUT de Saint-Etienne, consacre sa communication. La science-fiction et le space opera sont ici un décor, un second plan pour évoquer la solitude des personnages dans un univers où il s’agit de dépeindre des états psychologiques bien plus que des actions.

Ce qui ressort de ces premières réflexions est la grande diversité des approches dans l’analyse, liée notamment à la variété des oeuvres, preuve s’il en est d’une réelle vitalité du genre.

Claire Cornillon
Le 26/07/09


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Légende photo 2 : Daniel Tron et Marc Atallah
Crédits photographiques : Claire Cornillon